Article co-écrit par Adam Thiry et B.F.G. Fabrègue. Article écrit en Mai 2020.
Au bout de bientôt 2 ans d’application de directive ATAD, nous n’avons toujours pas de décisions majeures. La majorité des cas attendus sont actuellement en attente à cause du Coronavirus, et aucune décision de principe a été prise pour le moment. Pourquoi, comment cette directive va-t-elle s’appliquer en France et à Monaco ? Les impots pourront ils continuer à casser tous les montages fiscaux grace à la clause anti-abus du Livre des Procédures fiscales ?Probablement pas.
Au départ, dans la jurisprudence la plus pertinente en matière de fiscalité directe, la Cour de justice de l’Union européenne a adopté comme critère subjectif dans les affaires traitant d’abus le fait que l’arrangement ou la série d’arrangements a été mis en œuvre avec pour objectif principal l’obtention d’un avantage fiscal.
Dans l’affaire Cadbury Schwepps, la CJUE avait également statué qu’en en matière de fiscalité directe que « les motifs fiscaux sont des motifs légaux », c’est-à-dire que l’utilisation des libertés fondamentales pour obtenir un avantage fiscal ne peut être considérée comme un indice d’abus.
Le Conseil européen avait alors décidé en réponse de modifier la formulation proposée en adoptant l’expression « objectif principal ou l’un des objectifs principaux » au lieu de l’expression « objectif principal » proposée par la Commission. La proposition de la Commission de directive ATAD suit cette logique, et était déjà attendue par le Conseil de l’Union européenne, puisque ce dernier avait déjà émis des réserves juridiques sur les solutions introduites par le Conseil lors de la réforme de la directive « mères et filles ».[1]
Ainsi, les régles générales adoptée par l’ATAD, en utilisant l’expression « objet principal ou l’un des objets principaux », a potentiellement étendu le champ d’application du critère subjectif pour qu’il dépende de la manière dont il est interprété, en établissant une limite très basse pour la vérification des comportements abusifs des contribuables ce qui serait en contradiction avec l’interprétation que la Cour de justice a donnée au droit primaire.
Commentant une disposition similaire de la directive sur les fusions et acquisitions, plusieurs auteurs avaient déclaré que l’adoption de « l’un des principaux objectifs » signifie que même s’il existe des raisons ou des objectifs valables pour la transaction, mais que ceux-ci sont aussi importants ou moins importants que la raison fiscale, les avantages de la directive pourraient être refuses.[2] Un tel critère est en conflit évident avec celui adopté dans l’affaire Cadbury Schwepps, puisque dans la jurisprudence de la Cour, il n’est pas nécessaire de comparer les raisons fiscales et non fiscales . Par ailleurs, Eric Kemmeren[3], analysant la jurisprudence de la Cour, avait conclu en ce qui concerne la directive sur les fusions et acquisitions, que l’expression « l’un de ses principaux objectifs » doit, en tant que reflet du principe général d’interdiction de l’abus de droit, être interprétée comme signifiant que l’objectif principal de l’opération est d’obtenir un avantage fiscal (2014, p. 192-193). Ce choix s’alignerait donc avec le droit français et ses choix juridiques.
La même discussion a été soulevée par la doctrine lors de la réforme de la clause anti-abus contenue dans la directive « mères et filles » avec la publication de la directive (UE) 2015/121 du Conseil du 27 janvier 2015 modifiant la directive 2011/96/UE concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents.
Si la similitude de la clause avec celle prévue dans la directive sur les fusions et acquisitions n’était pas suffisante, ce qui attirerait la jurisprudence de la Cour de justice, pour les auteurs, l’amplitude de la clause anti-abus finit par aller à l’encontre de l’objet et du but même de la règle. En parlant justement du RMF (régime mère fille), il semble que la règle anti-abus du RMF utilise un seuil d’abus très bas (subjectif) en exigeant simplement que « l’un des principaux objectifs » soit l’obtention d’un avantage fiscal. Selon les auteurs, cela est fondamentalement inacceptable. La directive en question avait été crPe pour créer des conditions de concurrence équitables entre les groupements d’entreprises nationaux et intracommunautaires en supprimant les obstacles fiscaux existant dans le marché intérieur. En supprimant la double imposition juridique internationale des distributions de bénéfices entre sociétés d’États membres différents, la directive vise donc à encourager des transactions (c’est-à-dire le regroupement d’entreprises d’États membres différents) qui n’auraient pas eu lieu en l’absence de la directive. À la lumière de ce qui précède, il semble ambigu de refuser les avantages de la directive sur les services de paiement simplement parce qu’un contribuable s’est appuyé sur ces avantages pour prendre des décisions commerciales. En outre, les impôts étant l’une des dépenses les plus importantes des entreprises, toute entreprise raisonnable et diligente doit tenir compte de l’effet fiscal de ses décisions commerciales. En conséquence, les auteurs concèdent qu’un test subjectif plus raisonnable serait de savoir si un arrangement a été uniquement ou au moins principalement inspiré par l’obtention des avantages du RMF. En d’autres termes, les avantages du RMF devraient être accordés même si un avantage fiscal était « l’un des principaux objectifs », à condition qu’un véritable objectif économique soit poursuivi ».
Pour en revenir en matière fiscale, tout en admettant que le critère de l’objet principal de la directive s’écarte du critère de l’expédient purement artificiel établi par la Cour, on peut en effet les effets pratiques de la différence textuelle entre eux, dans la mesure où, pour vérifier l’existence d’un expédient purement artificiel, il doit y en avoir un : a) un avantage fiscal ; b) le conflit avec l’objet des libertés fondamentales ; c) l’intention du contribuable d’obtenir cet avantage fiscal ; et d) le caractère artificiel de l’arrangement. Selon la jurisprudence de la Cour, un arrangement peut être considéré comme abusif lorsqu’il est artificiel en tout ou en partie, dans la mesure où l’existence de raisons économiques valables pour une partie à la transaction ne supprimerait pas l’intention abusive pour l’autre partie .
Meme si nous suivons ce raisonnement, le critère de l’opportunité purement artificiel ne permettrait de reconnaître l’abus que par rapport à la transaction dans laquelle il n’y avait pas de raison économique valable, reconstituant ainsi la réalité, alors que le critère de l’objectif principal, en tant que tel, impliquerait la reconnaissance de l’abus de l’ensemble de la transaction, même si dans toutes les phases il y avait une raison économique valable, par le simple fait qu’il y avait aussi la raison fiscale.
Il faut cependant se poser une question : malgré la similitude textuelle, est-il possible d’assimiler le Clause Générale Anti Abus prévue dans l’ATAD à celle prévue dans la directive « mères et filles », qui l’a inspiré ? La question est justifiée car, alors que la Clause Générale contenue dans la directive « mères et filles » serait censée refuser les avantages qu’elle contient. Elle interdirait donc l’ouverture a un champ d’application plus large : or, on le voit dans la pratique, cette clause s’applique de manière générale à l’impôt sur les sociétés, et la différence est importante si l’on pense, par exemple, à l’arret Zwijnenburg (C352/08),
Malgré le caractère prétendument de minimis de la clause, la doctrine fait douter que les États membres puissent établir une règle générale anti-abus plus restrictive que celle prévue par l’ATAD, ce qui serait important pour savoir s’il s’agit d’une branche totalement harmonisée ou non, et donc le degré de contrôle du droit secondaire par rapport au droit primaire par la Cour. Pour ces raisons, il semble possible de conclure que la Cour interprétera également de manière restrictive le terme « objectif principal » .
- A ce sujet voir RIGAUT, Aloys. Directive anti-fiscalité (2016/1164) : de nouveaux horizons politiques pour l’UE. European Taxation v. 56, n. 11, novembre 2016. ↑
- VANISTENDAEL, Frans. UE Vs BEPS, in EU BEPS and state aid. Amsterdam : IBFD Online Books, 2016. ↑
- KEMMEREN, Eric C. C. M. Where is EU law in the OECD BEPS discussion , EC Tax Review ↑