La taxe numérique de l’article 15.
Il convient de commencer par les limites. La nouvelle taxe pour les éditeurs de presse est soumis à certaines exceptions : en particulier, conformément aux considérants 57 et 58 et à l’article 15, paragraphe 1, de la nouvelle directive sur le droit d’auteur, ce droit ne peut être appliqué dans les cas suivants :
- l’utilisation non commerciale ou privée des publications de presse par des particuliers ;
- l’établissement d’hyperliens ;
- en cas d’utilisation de « mots individuels ou de très courts extraits » d’une publication de presse ;
- l’utilisation de citations à des fins de critique ou de revue, par exemple.
L’un des aspects les plus débattus de la directive était (et reste) la « taxe de liaison », ou taxe numérique, incluse dans l’article. 15 de la directive.
Cet article étend les droits de reproduction et de communication aux arts publics. 2 et 3(2) de la directive Infosoc aux éditeurs de publications de presse établis dans un État membre. Si un autre sujet veut utiliser l’élément protégé, les éditeurs de presse auront droit à une compensation équitable en vertu de la législation nationale.
La raison pour laquelle une telle modification du régime juridique communautaire préexistant en matière de droits d’auteur a été négociée intensivement et finalement introduite est que, dans l’écosystème numérique, les éditeurs de presse ont des difficultés à concéder leurs droits sous licence aux fournisseurs de la nouvelle génération de la société de l’information, comme les agrégateurs d’informations en ligne et les services de surveillance des médias. Ainsi, avec Art. 15 de la directive GAD, le législateur européen tente de faire en sorte que les États membres garantissent l’investissement des éditeurs de presse dans un nouvel environnement commercial. En outre, la protection de la durabilité et de la prolifération de l’industrie de l’édition par le biais de la taxe de liaison est censée, en fin de compte, constituer une garantie supplémentaire pour la diffusion d’informations fiables.
Bénéficiaires du droit formé dans l’art. 15 sont les opérateurs qui s’occupent de la publication de la presse. L’art. 2(4) de la directive définit la « publication de presse » comme « un recueil composé principalement d’œuvres littéraires de nature journalistique, mais qui peut également comprendre d’autres œuvres ou d’autres objets, et qui : (a) constitue un élément individuel au sein d’un périodique ou d’une publication régulièrement mise à jour sous un titre unique, tel qu’un journal ou un magazine d’intérêt général ou spécialisé ; (b) a pour objet de fournir au grand public des informations relatives à l’actualité ou à d’autres sujets ; et (c) est publiée dans tout média à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle d’un prestataire de services ». Si la notion de « publication de presse » est assez large, elle comporte également quelques exclusions.
Les droits des éditeurs de presse ne sont à coup sûr ni intemporels ni absolus. Ils durent deux ans à compter du 1er janvier de l’année suivant la date de publication. Art. 15 de la directive (UE) 2019/790 exige également l’application de certaines dispositions de la directive Infosoc ; par exemple, les exceptions et limitations volontaires énumérées à l’article 5 et les dispositions prévues pour assurer la protection des mesures techniques et des informations sur le régime des droits (articles 6 et 7). De même, la directive DA Num. est sans préjudice des directives relatives à certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines et des œuvres/autres objets protégés par le droit d’auteur et les droits voisins au profit des personnes aveugles, malvoyantes ou incapables de lire les imprimés.
En outre, l’Art. 15 coexistent avec les droits que le droit communautaire confère aux auteurs et autres titulaires de droits en ce qui concerne les œuvres et autres objets incorporés dans une publication de presse et non couverts par une licence exclusive. Un corollaire de cette limitation est que les matériaux en question doivent être traités indépendamment de la publication de presse où ils sont inclus. Avant tout, les auteurs d’œuvres incorporées dans une publication de presse doivent recevoir « une part appropriée des revenus que les éditeurs de presse reçoivent pour l’utilisation de leurs publications de presse par les prestataires de services de la société de l’information ».
Enfin, l’Art. 16 de la directive DA Num. permet aux États membres de considérer le transfert ou la licence d’un droit par un auteur à un éditeur comme une base juridique suffisante pour donner à ce dernier droit à une part de la compensation pour l’utilisation de l’œuvre faite en vertu d’une exception ou d’une limitation au droit transféré ou concédé sous licence.
L’introduction des droits des éditeurs de presse a été très critiquée par de nombreux commentateurs. Il est avancé que les éditeurs de presse sont déjà bien protégés et que les nouveaux droits, qui sont territoriaux, porteraient atteinte aux libertés du marché, à la liberté d’expression et à la liberté de l’art. Cela affecterait également l’innovation dans l’UE. Plus particulièrement, bien que le champ d’application des droits des éditeurs de presse ait été légèrement réduit dans le texte final de la directive, il semble que les nouveaux droits puissent s’étendre à la grande majorité des formes d’utilisation. Cela se produit même si, selon certains experts, aucune preuve empirique ne justifie un tel nouveau régime.
A côté de cela, de nombreux points d’Art. 15 sont assez vagues et doivent être clarifiés ; on s’attend à ce que la CJUE soit fréquemment invitée à interpréter cette disposition afin de mieux aligner les réglementations nationales – déjà existantes ou bientôt adoptées – sur la directive. Par exemple, des critères plus complets seront proposés pour évaluer à l’avance la signification de certaines expressions : par exemple, « utilisations non commerciales » des publications de presse , « très courts extraits d’une publication de presse », « part appropriée » des revenus perçus par les éditeurs de presse. En même temps, il est difficile de ne pas voir que les États membres restent assez libres de décider comment mettre en œuvre les droits pertinents reconnus et garantis par l’article. 15 et de décider des moyens par lesquels la rémunération sera assurée aux titulaires de droits.
Des droits sans limites ?
Comme nous l’avons déjà dit, conformément au considérant 57 et à l’article 15, paragraphe 1, de la nouvelle directive sur le droit d’auteur, les nouveaux droits accordés aux éditeurs de publications de presse devraient avoir la même portée que les droits de reproduction et de mise à disposition du public prévus dans la directive 2001/29/CE sur le droit d’auteur, en ce qui concerne les utilisations en ligne par les prestataires de services de la société de l’information.
Il est clair que le champ d’application s’étend à toute utilisation commerciale de la presse en ligne – qu’elle soit « publique » ou « privée » – même lorsque la fourniture de contenus au public est formellement effectuée sur une base individuelle, comme par exemple par le biais d’identifiants de connexion ou par l’utilisation d’autres moyens techniques qui limitent l’accès à une certaine œuvre à un utilisateur spécifique. L’article 15 alinéa 1 exclut en effet les droits accordés aux éditeurs de presse en ce qui concerne « les utilisations privées ou non commerciales des publications de presse par des utilisateurs individuels », de sorte que toute exploitation commerciale – même si elle est « privée » – relève des droits accordés aux éditeurs de presse. En outre, il convient de noter que l’utilisation en ligne d’œuvres protégées apparemment utilisées « à des fins de reportage ‘actualité », telle que définie à l’article 5, paragraphe 3, point c), de la directive 2001/29/CE sur le droit d’auteur (appliquée mutatis mutandis à l’article 15, paragraphe 1, de la nouvelle directive sur le droit d’auteur), doit également faire l’objet d’une évaluation stricte, en liaison avec la notion de « mise à la disposition du public ».
Comme l’a noté la Cour de justice de l’UE dans l’affaire n°. C-117/15 (Reha Training), le terme « public » doit être compris comme un nombre indéterminé de destinataires potentiels, à évaluer par rapport au nombre de personnes qui, simultanément ou successivement, peuvent accéder à la même œuvre protégée. Pour relever de la notion de « mise à disposition du public », une « œuvre » doit être transmise à un « nouveau public », c’est-à-dire à un public qui n’avait pas été pris en considération par les titulaires de droits sur les œuvres protégées par le droit d’auteur lorsque ces derniers ont autorisé la communication de leurs œuvres à un certain public. Dans cette mesure, comme l’a fait remarquer la Cour de justice de l’UE dans l’affaire n°. C-263/18 (Tom Kabinet), l’acte de mettre à disposition une œuvre protégée en la téléchargeant, pour une utilisation permanente, relève de la notion de « mise à disposition du public », puisque « les membres du public peuvent y accéder de l’endroit et au moment qu’ils choisissent individuellement », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/295. Par conséquent, l’œuvre téléchargée de façon permanente, même si elle est apparemment destinée à être utilisée à des fins « privées » ou pour rendre compte de l’actualité, relève de la notion de mise à disposition du public d’une œuvre protégée par le droit d’auteur et n’est donc pas autorisée, comme l’indique également la nouvelle directive sur le droit d’auteur.
Une telle interprétation est importante et devrait permettre aux éditeurs de presse de faire valoir leurs droits sur les œuvres protégées par le droit d’auteur également auprès des entités (telles que les entités exerçant les activités d’une revue de presse) qui jusqu’à présent ont utilisé leurs contenus sur la base alléguée d’une communication individuelle rendue en ligne à des fins de reportage.
Rien de nouveau ?
Premièrement, si les exceptions et les limitations prévues par l’art. 5 de la directive Infosoc sont presque toutes facultatives, les nouvelles dérogations sont obligatoires. Auparavant, les États membres n’étaient pas libres d’affecter les droits exclusifs de reproduction, de communication au public et de distribution en autorisant des exceptions et limitations autres que celles énumérées dans la directive de 2001 ; ils pouvaient toujours décider d’approuver ces exceptions et limitations dans leur ordre juridique et, dans ce cas, ils disposaient d’une certaine marge de manœuvre pour façonner lesdites dérogations. Dans certains cas seulement, les États membres ont dû associer des exceptions et des limitations à la compensation équitable.
La plupart des nouvelles exceptions et limitations ne coïncident pas entièrement avec celles contenues dans la directive Infosoc. Par souci de concision, les motifs de la directive de 2001 subsistent, mais à partir de l’entrée en vigueur de la directive DA Num. , ils seront remplacés (ou subsistuées) par des dérogations obligatoires au niveau national. Les exceptions et dérogations ajoutées par la directive DA Num. peuvent être résumées ici
- Art. 3 concerne les actes d’exploration de textes et de données (TDM) aux fins de la recherche scientifique menée par des organismes de recherche et des institutions du patrimoine culturel. Cela s’applique si les activités concernées se rapportent à des travaux/sujets auxquels ces organisations et institutions ont légalement accès ; toutefois, les exceptions et dérogations en matière de GDT sont soumises à d’autres conditions.
- Art. 4 couvre les reproductions et les extractions d’œuvres et d’objets auxquels on a légalement accédé aux fins de la GDT. Cette dérogation peut être appliquée à condition que l’utilisation des matériels susmentionnés n’ait pas été expressément réservée par les titulaires de droits « d’une manière appropriée » ; la disposition donne l’exemple des moyens de lecture automatique dans le cas de contenus mis à la disposition du public en ligne. En tout état de cause, la réserve des titulaires de droits n’affecte pas l’article. 3. Il reste que c’est la seule exception/limitation qui peut être annulée par contrat.
- Art. 5 autorise l’utilisation numérique d’œuvres et d’autres sujets à la seule fin de les illustrer dans le cadre de l’enseignement. Compte tenu des conclusions de l’arrêt Renckhoff de 2018, cette dérogation semble être particulièrement d’actualité et fait écho au contenu de l’article 5. 5(3)(a) de la directive Infosoc. Malgré l’ajustement effectué par le législateur européen, la protection offerte par l’Art. 5 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas absolue. Cette dérogation peut être invoquée dans la mesure justifiée par le but non commercial à atteindre. En outre, elle s’applique si l’utilisation de matériel protégé par le droit d’auteur a lieu sous la responsabilité d’un établissement d’enseignement et si la source et le nom de l’auteur sont dûment indiqués (sauf si cela s’avère impossible). Au lieu de cela, la compensation équitable pour les titulaires de droits est un surplus que les États membres sont libres d’approuver dans leurs réglementations nationales. Exceptions et limitations au titre de l’art. 5 sont particulières, en ce sens qu’elles sont « quasi obligatoires ». Les États membres ne pourraient pas les respecter (en tout ou en partie) s’ils prenaient les mesures nécessaires pour garantir que les établissements d’enseignement sont placés dans les conditions adéquates pour obtenir des licences appropriées sur le marché.
- Art. 6. concerne les actes de reproduction des œuvres de certaines institutions du patrimoine culturel. Cette dérogation ne s’applique qu’à des fins de conservation.
Toutes ces exceptions et limitations semblent avoir en commun un champ d’application assez étroit et le sentiment est que leur valeur ajoutée en termes de droits et d’intérêts légitimes de la société civile sera insuffisante. De plus, en se basant sur l’art. 7(2) de la directive DA Num. , elles ne peuvent toutes être mises en place que si le test de proportionnalité spécifiquement conçu à l’article 7, paragraphe 2, de la directive DA Num. est respecté. 5(5) de la directive Infosoc est respecté, ce qui signifie que le déclenchement de l’exception/limitation n’entre pas en conflit avec une exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé et ne cause pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.