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La recherche d’indépendance des autorités de concurrence Européennes

Vers l’institution du marché unique

Les institutions de l’Union Européenne jouent un rôle fondamental dans la réalisation du marché unique européen notamment à travers l’adoption de traités, leur interprétation par les juges européens ou encore le contrôle des institutions sur les acteurs qui impactent ce marché. Pourtant, il ne peut se réaliser sans une intervention active des Etats membres qui se doivent de respecter les règles de l’Union et de s’assurer de leur respect par les personnes physiques comme les personnes morales. Les institutions nationales jouent un rôle essentiel dans le contrôle de la bonne application des réglementations au sein des Etats.

L’un des piliers du droit de l’Union européenne est sa politique de concurrence, elle est l’un des moyens qui permet à la réalisation du marché intérieur européen et surtout des quatre libertés : libre circulation des services, des capitaux, des marchandises et des personnes. Celle-ci passe par une interdiction des abus de position dominante et des accords entre les entreprises qui fausseraient la concurrence. Par ailleurs, les aides d’Etat versées à certaines entreprises qui entraineraient une restriction de la concurrence sont-elles-aussi prohibées, bien que certaines exceptions soient admises.

Les différentes autorités de la concurrence des pays membres de l’Union Européenne

Pour s’assurer du respect de la politique de concurrence, dans chacun des Etats membres, des Autorités de concurrence contrôle que l’action des entreprises est en conformité avec les règles de concurrence. Afin de renforcer la politique européenne de concurrence, les institutions ont mis en place différentes mesures. La première étape fut l’adoption du règlement 1/2003 qui a créé un Réseau européen de concurrence (REC) dans lequel les Autorités nationales de concurrence s’assurent du respect du droit de la concurrence de manière décentralisée tout en coopérant entre elles et avec la Commission européenne.

L’Union européenne a entamé une nouvelle étape dans sa politique de concurrence. Celle-ci a pour but de consolider et renforcer le rôle des autorités nationales de concurrence, en harmonisant leurs pouvoirs, moyens d’intervention et règles de fonctionnement. Pour cela, a été adoptée la directive (EU) 2012/1 du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur. L’enjeu de cette directive est d’assurer une application uniforme du droit européen de la concurrence et cela passe notamment par le renforcement de la coopération au sein du Réseau européen de concurrence entre la Commission et les autorités nationales. Le système encadrant le droit de la concurrence européenne est décentralisé et repose sur la confiance et le dialogue entre les autorités et la Commission. La nouvelle directive européenne ne modifie pas en profondeur le REC, elle n’a que pour objectif de renforcer la coopération entre les acteurs et d’harmoniser la mise en œuvre des règles européennes concernant la concurrence dans l’ensemble des Etats membres.

La recherche d’indépendence des autorités nationales

Concernant les institutions elles-mêmes, l’objectif de la directive est de « faire en sorte que les ANC [Autorités Nationales de Concurrence] disposent des garanties d’indépendance, des ressources et des pouvoirs de coercition et de fixation d’amendes nécessaires pour pouvoir appliquer efficacement les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ». Cela passe notamment par la possibilité, pour les Autorités de chacun des Etats membres, de mettre en place des amendes effectives, proportionnées et dissuasives à l’encontre des entreprises qui adopteraient des comportements qui vont à l’encontre des règles européennes de la concurrence. La directive prévoit que cette amende sera fixée proportionnellement au chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.

Initialement, le pouvoir ou l’absence de pouvoir pour les Autorités de concurrence de sanctionner des acteurs qui violaient le droit de la concurrence dépendait des Etats. Par exemple, en Irlande, l’Autorité de la concurrence ne pouvait pas prononcer elle-même des sanctions à l’encontre des entreprises qui avait un comportement contraire aux règles de la concurrence, elle devait se tourner vers les juridictions pour que des sanctions soient prononcées, mais il est apparu que ce système était inefficace et que dans les faits, très peu de sanctions étaient prononcées.

La situation en France

En France, il existait déjà un régime de sanctions administratives qui pouvaient être infligées par l’Autorité de la concurrence. Le principal changement apporté par cette nouvelle directive est celui de l’opportunité des poursuites prévu au paragraphe 5 de l’article 4 de la directive : « Les autorités nationales de concurrence administratives ont le pouvoir de fixer leurs priorités afin de s’acquitter des tâches nécessaires à l’application des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, visées à l’article 5, paragraphe 2, de la présente directive. Dans la mesure où les autorités nationales de concurrence administratives sont tenues d’examiner les plaintes formelles, ces autorités ont le pouvoir de rejeter de telles plaintes au motif qu’elles ne les considèrent pas comme une priorité. Cette disposition est sans préjudice du pouvoir des autorités nationales de concurrence administratives de rejeter des plaintes pour d’autres motifs définis par le droit national. » Jusqu’alors, il était impossible pour l’Autorité de la concurrence française, d’écarter une saisine si elle considérait que celle-ci n’était pas prioritaire. Les seules hypothèses dans lesquelles l’Autorité de la Concurrence française pouvait rejeter la saisine sont listées à l’article L462-8 du Code de commerce français. Avec cette nouvelle compétence, se pose la question de savoir si ce nouveau système est totalement à la discrétion de l’Autorité de concurrence car l’article 4 ne définit pas ce qu’est le principe d’opportunité des poursuites donc le risque de dérive est à prendre en compte notamment au regard du lobbying des sociétés visées par la plainte. De plus, il implique que certains dossiers pourront être traités de manière prioritaire par rapport à d’autres, quels seront les recours en cas de délai de traitement trop long dû à ce nouveau principe d’opportunité des poursuites ?

Ensuite, pour renforcer les pouvoirs des Autorités nationales, la directive instaure des pouvoirs d’enquête à ces autorités, pouvoirs qui permettront d’assurer l’application effective des articles 101 et 102 du TFUE. Au cours de ces enquêtes, les Autorités de concurrence pourront éventuellement prononcer toute mesure provisoire qu’elles jugent nécessaire, conformément à l’article 11 de la directive qui prévoit que  « Les États membres veillent à ce qu’au moins dans les cas d’urgence justifiés par le fait qu’un préjudice grave et irréparable risque d’être causé à la concurrence, les autorités nationales de concurrence soient habilitées à agir de leur propre initiative, pour ordonner, par voie de décision sur la base d’un constat prima facie d’infraction aux dispositions de l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’imposition de mesures provisoires aux entreprises et associations d’entreprises. ». Cette possibilité offerte aux autorités de concurrence constitue un nouveau pouvoir dans de nombreux pays, c’est notamment le cas de l’Irlande dont les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence était jusqu’alors limités.

Ensuite se pose la question de savoir quel sera l’impact de cette directive sur les entreprises. Devront-elles mettre en place des dispositions particulière pour se préparer à ces nouvelles règles ? Les règles en matière de concurrence n’ont pas vocation à évoluer avec cette directive, elle vise seulement à renforcer les autorités de chaque Etat membre, par conséquent, elle pourra influencer l’activité des entreprises au niveau international car elles pourront obtenir plus facilement le respect des règles de concurrence dans tous les Etats de l’Union, cela est permis par le fait qu’elle encourage une homogénéisation des droits et des règles de procédure.

Mais en France, la directive pourra entraîner des conséquences importantes sur les associations professionnelles dans lesquelles de nombreuses entreprises sont investies. L’article 15 de la directive prévoit « que le montant maximal de l’amende que des autorités nationales de concurrence peuvent infliger à chaque entreprise ou association d’entreprises participant à une infraction à l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne soit pas inférieure à 10 % du chiffre d’affaires mondial total de l’entreprise ou de l’association d’entreprises réalisé au cours de l’exercice social précédant la décision ». Or, en France, le montant maximal de l’impôt était fixé à 3 millions d’euros, désormais, il sera porté à 10% du chiffre d’affaires totale de l’entreprise/ association. Ce changement pourra s’avérer considérable pour certaines associations professionnelles. Cependant, il faut se rappeler que les Autorités de concurrence sont soumises au principe de proportionnalité de la sanction qu’elles infligent par rapport aux faits litigieux. En conséquence, ce plafond pourra n’être prononcé que très rarement. Cette mesure justifiée par une principe d’harmonisation du droit de l’Union européenne s’accompagne d’un principe de responsabilité financière des entreprises sanctionnées du fait de l’entente.

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La situation en Irlande

En plus de l’instauration d’un plafond, la directive prévoit la mise en place de sanctions financière civiles. Cette disposition vient modifier en profondeur certains droits tels que le droit Irlandais. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la directive, seules des amendes pénales pouvaient être prononcées par l’Autorité de la concurrence irlandaise, cela impliquait l’intervention des tribunaux pour la mettre en œuvre et l’Autorité devait apporter la preuve de la violation des règles de concurrence devant les tribunaux, sans doute possible. Ce système complexe impliquait que celle-ci ne prononçait des amendes pénales que pour les infractions les plus graves au droit de la concurrence et lorsque l’entente était caractérisée. L’introduction de sanction civile a vocation à entrainer une recrudescence des sanctions et de l’activité de l’Autorité de la concurrence irlandaise, du fait d’un pouvoir d’exécution accru. Ces mesures devraient introduire un régime du droit de la concurrence plus efficace en Irlande mais aussi dans la plupart des pays de l’Union européenne.

Finalement, on constate que cette directive n’a pas le même impact en fonction des Etats membres. Alors que certains pays comme la France, ou l’Espagne appliquaient déjà la majorité de ces règles, dans d’autres Etats, le pouvoir accordé à l’Autorité de la concurrence était moindre, ce fut notamment le cas de l’Irlande. C’est pourquoi dans ces derniers, la directive aura un impact plus important.