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L’abus de position dominante en droit Européen

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Description générée automatiquement Le respect des règles concurrentielles est l’un des principes fondamentaux de l’Union Européenne. Le marché unique européen ne peut pas se réaliser sans une politique de la concurrence qui garantie à tous un libre accès au marché. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne vise à prévenir les restrictions et les distorsions de la concurrence au sein du marché intérieur. Malgré ces règles visant à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, on constate que certains acteurs continuent à adopter un comportement anti-concurrentiel. La Commission européenne, en tant que gardienne des traités de l’Union européenne, se charge de sanctionner les acteurs qui ne respecteraient pas les règles de concurrence dans le marché européen.

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Cette réglementation de la concurrence garantie par la Commission s’applique directement dans tous les pays membres de l’Union, elle prohibe certains comportements qui pourraient nuire au bon fonctionnement du marché intérieur tels que des ententes qui visent à fixer des prix, à répartir les clients sur le marché ou limiter la production. La 2nd grande interdiction est l’abus de position dominante qui consiste, pour une entreprise qui a une position dominante sur un marché, à adopter un comportement visant à éliminer les autres acteurs du marché ou à en dissuader d’autres d’entrer sur le marché, faussant la concurrence.

En 2018, le géant Google s’est vu reprocher, par la Commission, d’adopter ce type de comportement. L’entreprise a été sanctionnée par une amende de 4,34 milliards d’euros pour pratiques illégales concernant les appareils mobiles Android en vue de renforcer la position dominante de son moteur. L’entreprise imposait aux fabricants d’appareils mobiles d’installer ses applications. Margrethe Vestager, commissaire européenne chargée de la politique de la concurrence a déclaré : « Google utilise Android comme un véhicule pour consolider la position dominante de son moteur de recherche. » Ce comportement a des conséquences dans de multiples domaines, « Ces pratiques ont privé ses concurrents de la possibilité d’innover et de lui livrer concurrence par leurs mérites. Elles ont privé les consommateurs européens des avantages d’une concurrence effective sur le marché important des appareils mobiles. Cette pratique est illégale au regard des règles de l’Union européenne en matière de pratiques anticoncurrentielles. ».

Cette pratique utilisée par Google en vu de renforcer sa position dominante sur le marché est considérée comme une pratique anticoncurrentielle et sanctionnée comme telle. La CJUE a eu l’occasion de définir la notion de position dominante : « une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs » – Arrêt de la Cour de justice du 14 février 1978, United Brands/Commission. Cette définition des juges européens reste très générale et ne répond pas réellement à nos interrogations : quels actes peuvent être sanctionnés sur le fondement de l’abus de position dominante ?

En application du droit européen, la loi Irlandaise prohibe l’abus de position dominante. La concurrence en Irlande est encadrée, bien entendu, par les dispositions européennes mais aussi par le Competition Act de 2002 (CA 2002), amendé en 2017 et par le Competition and Consumer Protection Act de 2014.

En Irlande, la Commission for Communications Regulation dispose également d’un pouvoir pour faire appliquer les articles 4 et 5 de la loi sur la concurrence et les articles 101 et 102 du TFUE.

L’article 5 de CA 2002[1] prohibe tout comportement d’une ou de plusieurs entreprises qui équivaut à un abus de position dominante sur un marché s’il est susceptible d’affecter le commerce en Irlande. Pour être caractérisé, la position dominante doit exister en Irlande et l’effet sur le commerce doit se produire en Irlande, or, l’abus peut avoir lieu en dehors de l’Irlande. Cela signifie qu’une entreprise espagnole, qui ne dispose pas de locaux sur le territoire irlandais, peut être sanctionnée au titre de l’abus de position dominante en Irlande dès lors que son action sur le territoire irlandais aurait des incidences sur le commerce irlandais. Il n’existe pas d’exemption de l’interdiction de l’abus de position dominante en droit Irlandais.

Le droit français sanctionne lui aussi ces agissements et apporte une définition plus précise que celle posée par la CJUE. L’article L420-2 du Code de commerce stipule que « Est prohibée, dans les conditions prévues à l’article L. 420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. […] Est en outre prohibée, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. ». Mais comment savoir lorsqu’une entreprise est réellement dans une situation de position dominante ? L’article L420-2 du Code de commerce français liste une série d’actes qui peuvent constituer un abus de position dominante : le refus de vente, l’exploitation d’un état de dépendance etc…. Mais cette liste n’est en rien exhaustive, la Commission Européenne a par ailleurs publié un guide pour pouvoir mettre en œuvre l’article 102 du TFUE[2] qui sanctionne les pratiques anticoncurrentielles. Elle prévoit notamment que doivent être pris en compte pour considérer qu’il y a abus de position dominante des facteurs comme la zone géographique, l’existence de barrière à l’entrée du marché. Ensuite, il peut y avoir une position dominante sans abus, c’est donc cette notion qui doit être caractérisée pour que les agissements puissent être sanctionnées. L’abus peut, par exemple, constituer en une baisse significative des prix par rapport aux concurrents, ce qui a pour conséquence de diminuer la part de marché des concurrents et de constituer de nouvelles barrières à l’entrée donc empêcher l’arrivée de nouvelles entreprises sur le marché.

Mais la situation d’abus de position dominante n’est pas si simple à caractériser. A quel stade pourra-t-on considérer que les agissements sont suffisamment graves pour constituer un abus de position dominante ? La Cour de cassation française l’a rappelé dans un arrêt du 15 juillet 1992 : seule une atteinte sensible à la concurrence peut caractériser une pratique anticoncurrentielle. Donc seuls peuvent être sanctionnées les abus de dépendance économique qui sont suffisamment importants. De plus, l’infraction ne peut être sanctionnée que si on parvient à démontrer un lien de causalité entre la situation de dépendance économique et la pratique incriminée. Cela signifie que l’état de dépendance doit entrainer l’exploitation abusive. L’entreprise doit d’abord être en situation de dépendance et ensuite elle profitera de cette situation pour obtenir des avantages encore plus importants : dans ce cas, l’abus pourra être caractérisé.

L’abus de position dominante est l’acte qui est sanctionné, mais il peut déboucher sur un monopole qui est une situation de marché dans laquelle un seul vendeur fait face à une multitude d’acheteurs. Pourtant, il faut être vigilant : tous les monopoles ne sont pas issus de situations de position dominante. Le monopole s’explique par l’existence de « barrières à l’entrée », ce qui signifie que de nouvelles entreprises ne peuvent pas entrer sur le marché pour exercer délivrer le service en question / vendre les mêmes produits. Ces barrières à l’entrée peuvent être fixées par les entreprises elles-mêmes, ça va notamment être le cas de l’abus de position dominante. Mais une autre hypothèse est la présence de barrière qui sont inhérentes à l’activité exercée. La première hypothèse est l’existence de coûts fixes importants compte tenu de la taille du marché, des infrastructures couteuses, des couts de recherche et développement élevés etc. peuvent empêcher de nouveaux acteurs d’entrée sur le marché car sans financements importants ils ne peuvent débuter leur activité. Des coûts fixes important sont une caractéristique de l’économie de réseau comme l’électricité où, pour s’engager sur ce secteur il faut pouvoir construire des centrales, assurer la distribution etc., ce qui implique des coûts très élevé et est un frein à l’entrée de nouveau acteurs sur ce marché.

La deuxième catégorie de barrières à l’entrée est l’existence d’économies d’échelle dans certains secteurs d’activités à rendements croissants. L’économie d’échelle désigne le fait que le coût de production unitaire d’un produit ou d’un service diminue lorsque la production augmente. Ces économies d’échelle ne permettent pas à des entreprises de petite taille d’être rentable, donc elles les bloquent dans leur entrée sur le marché. C’est par exemple la situation dans laquelle Google est : l’entreprise a investi il y a de nombreuses années dans du matériel et a su se développer et s’imposer permettant à son chiffre d’affaires d’augmenter de façon considérable par rapport aux besoins financier pour générer ces bénéfices. Si une entreprise arrivait sur le marché aujourd’hui, elle devrait faire face à des charges fixes extrêmement importante qui ne lui permettraient pas d’être rentable face à Google.

Une troisième hypothèse concernant les barrières à l’entrée, pouvant provoquer un monopole est l’Etat : on parle de monopole légal. Ce sont des monopoles qui sont autorisés et encadrés par la loi. Ils visent à restreindre la concurrence sur certains marchés pour poursuivre des objectifs stratégiques, d’aménagement du territoire ou pour garantir un service public. Comment un monopole peut-il être compatible avec les exigences concurrentielles imposées par l’Union européenne ? On constate que l’alliance de ces deux exigences dans l’Union Européenne est complexe, depuis l’Acte Unique européen de 1986, la remise en question des monopoles publics apparait dans le droit communautaire. C’est à partir de ce traité que de nombreux secteurs auparavant confiés à des monopoles nationaux ont été ouverts à la concurrence. Par exemple, en Italie, la loi Mammi a été votée en aout 1990 pour abolir le monopole de la RAI (radiotelevisione Italia), permettant d’ouvrir l’accès à la télévision à des groupes privés. Et la fin des monopoles étatiques se sont multipliés dans de nombreux Etats membres de l’Union Européenne avec le rôle majeur qu’elle joue dans notre économie. La Commission européenne ne s’est pas clairement opposée aux monopoles publics mais elle considère que ces services doivent être satisfaits efficacement et à moindre coût. Le risque pour entreprise publique non soumise à la concurrence est qu’elle pratique des prix trop élevés, c’est pourquoi la Commission Européenne considère que toute activité devrait être soumise à la libre concurrence sauf si elle est incompatible avec celle-ci.

L’article 37 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne encadre ces monopoles publics, il prévoit que « Les États membres aménagent les monopoles nationaux présentant un caractère commercial, de telle façon que soit assurée, dans les conditions d’approvisionnement et de débouchés, l’exclusion de toute discrimination entre les ressortissants des États membres ». Cela implique donc que les Etats membres se doivent d’exercer ces services de manière loyale et conformément à l’intérêt général. La Cour de Justice de l’Union Européenne est là pour encadrer les Etats et sanctionner une mauvaise gestion de leur monopole. Par exemple, dans les arrêts Stoss et Carmen Media Group rendus en 2010, les juges européens ont jugé que le monopole public sur les paris sportifs en Allemagne ne permettaient pas de garantir la réalisation des objectifs d’intérêt général invoqués par le législateur allemand de manière cohérente et systématique. Cette décision a été justifiée par le fait que les titulaires du monopole mettaient en place des campagnes publicitaires intensives et que les autorités compétentes menaient parallèlement des politiques d’encouragement à la participation d’autres jeux de nature à entraîner un risque élevé de dépendance pour les joueurs.

Malgré des règles strictes qui encadrent les monopoles légaux, ceux-ci ont vocation à disparaitre du fait de l’influence des idées européennes. L’un des monopoles majeurs de l’Etat français a pris fin en 2020 : le marché ferroviaire. Le but était de permettre à des opérateurs privés d’exploiter leurs trains sur le réseau ferroviaire. Cette réforme a été incitée par l’Union Européenne pour améliorer les performances du service. Pourtant on constate aujourd’hui que la situation est plus complexe car la concurrence à la SNCF est peu nombreuse. Cela s’explique notamment par des coûts d’entrée sur le marché très élevés. Se pose donc la problématique de savoir comment inciter les entreprises à investir dans ce secteur, une situation que la pandémie mondiale n’a pas améliorée.

Finalement, on constate que l’Union Européenne met un point d’honneur à veiller au respect de la concurrence sur le marché mais la situation n’est pas si simple et l’abus de position dominante peut arriver rapidement, il convient donc, en tant qu’acteur unique sur le marché, de s’assurer de ne pas profiter de manière abusive de sa situation.

 

  1. « (1) Tout abus par une ou plusieurs entreprises d’une position dominante dans le commerce de tous biens ou services dans l’Etat ou dans toute partie de l’Etat est interdit.

    (2) Sans préjudice de la généralité du paragraphe (1) , un tel abus peut notamment consister en :

    (a)  imposer directement ou indirectement des prix d’achat ou de vente déloyaux ou d’autres conditions commerciales déloyales,

    (b) limiter la production, les marchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,

    (c) appliquer des conditions différentes à des transactions équivalentes avec d’autres parties commerciales, les plaçant ainsi dans une situation de désavantage concurrentiel,

    (d) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation par d’autres parties d’obligations supplémentaires qui, par leur nature ou selon l’usage commercial, n’ont aucun rapport avec l’objet de ces contrats. »

  2. Article 102 TFUE : Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.

    Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :

    imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables,

    limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,

    appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

    subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.