À la suite des modifications introduites par la directive 2018/1713 du 6 novembre 2018 à la directive 2006/112 du 28 novembre 2006, les États membres de l’Union européenne (UE) sont désormais autorisés à appliquer à la commercialisation des périodiques et des livres diffusés en ligne les taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qu’ils appliquent aux publications imprimées. Or, comme nous le verrons à la fin, le taux applicable sur les e-books n’est absolument pas clair.
Jusqu’à la présente modification de 2018, l’article 98 de la directive du 28 novembre 2006, relative au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée, disposait que « les taux réduits ne sont pas applicables aux services fournis par voie électronique ». Dans le même temps, il était cependant admis, en son annexe III, qu’un taux de TVA réduit puisse s’appliquer à « la fourniture de livres, sur tout support physique […] les journaux et périodiques, à l’exclusion du matériel consacré entièrement ou d’une manière prédominante à la publicité ». Les États membres de l’UE étaient donc autorisés à appliquer un taux de TVA réduit à diverses publications imprimées, constitutives de « marchandises », mais pas aux mêmes titres et contenus accessibles en ligne, relevant de la catégorie des « services ».
Tous les États membres de l’UE n’ont pourtant pas toujours été respectueux des exigences de la directive de novembre 2006. Avant que cela ne leur soit autorisé, la France et le Luxembourg notamment avaient notamment appliqué des taux de TVA réduits aux livres et services de presse en ligne, ce qui était évidemment illégal. La Cour de justice de l’Union européenne a plusieurs fois dû se prononcer à cet égard de ces polissons. Il avait été notamment considéra que, « en appliquant un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à la fourniture de livres numériques ou électroniques », la République française et le Grand-duché de Luxembourg ont « manqué aux obligations qui [leur] incombent » (CJUE, 4e ch., 5 mars 2015, Commission c. République française, aff. C-479/13 ; CJUE, 4e ch., 5 mars 2015, Commission c. Grand-duché de Luxembourg, aff. C-501/13).
Mais beaucoup plus important, la CJUE avait jugé le 5 mars 2015 qu’en appliquant un taux réduit de TVA à la fourniture de livres électroniques, la République française avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 96 et 98 de la directive TVA.
Conformément à l’ancienne directive TVA, les États membres pouvaient appliquer un taux réduit de TVA aux publications imprimées telles que les livres, les journaux et les périodiques. En revanche, les publications numériques devaient être soumises au taux normal de TVA, à l’exception des livres numériques fournis sur un support physique (cédérom par exemple). Dans l’affaire C-390/15 Rzecznik Praw Obywatelskih (RPO) la cour constitutionnelle polonaise, saisie par le médiateur polonais, doutait de la validité de cette disposition. Elle se demandait, d’une part, si cette différence d’imposition était compatible avec le principe d’égalité de traitement et, d’autre part, si le Parlement européen avait été suffisamment impliqué dans la procédure législative. ( C-390/15 Rzecznik Praw Obywatelskich (RPO) )
Dans ses conclusions, l’avocat général Juliane Kokott était parvenue à la conclusion que la directive TVA était valide, dans la mesure où elle réserve l’application du taux réduit de TVA aux livres, journaux et périodiques imprimés ainsi qu’aux livres numériques fournis sur un support physique.
La CJUE vient de rendre une décision qui confirme les conclusions de l’avocat général.
«Il convient, dès lors, de constater que l’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112 modifiée, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de cette directive, qui a pour effet d’exclure la possibilité pour les États membres d’appliquer un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques par voie électronique, tout en les autorisant à appliquer un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques sur tout type de support physique, ne méconnaît pas le principe d’égalité de traitement, tel qu’énoncé à l’article 20 de la Charte »souligne la Cour. ). Elle a, en revanche, validé la législation polonaise qui appliquait un taux de TVA différent aux publications (périodiques et livres) commercialisées sous la forme d’une « marchandise » et à celles qui le sont par la voie d’une « prestation de service ».
Depuis la directive de novembre 2018
Dans ses considérants, la directive du 6 novembre 2018 estime qu’« il convient de permettre aux États membres d’aligner les taux de TVA pour les publications fournies par voie électronique sur les taux de TVA inférieurs appliqués aux publications fournies sur tout type de support physique ».
Elle précise cependant que, « afin de prévenir un recours massif aux taux réduits de TVA pour les contenus audiovisuels, il convient de permettre aux États membres d’appliquer un taux réduit aux livres, journaux et périodiques, mais uniquement si ces publications, qu’elles soient fournies sur support physique ou par voie électronique, ne consistent pas entièrement ou d’une manière prédominante en un contenu musical ou vidéo ».
À l’article 98 de la directive de 2006, il est posé que « les taux réduits ne sont pas applicables aux services fournis par voie électronique, à l’exception des services relevant du point 6) de l’annexe III ». Ledit point 6) de l’annexe III, déterminant la possible exception, est désormais remplacé par la formulation suivante : « La fourniture […] de livres, journaux et périodiques, que ce soit sur support physique ou par voie électronique, ou les deux […] à l’exclusion des publications consacrées entièrement ou d’une manière prédominante à la publicité et à l’exclusion des publications consistant entièrement ou d’une manière prédominante en un contenu vidéo ou une musique audible. »
Une absence de clarté assumée
Faisant prévaloir les préoccupations culturelles sur celles de l’unification du régime fiscal, la directive de novembre 2018 permet aux États membres de l’Union européenne d’appliquer, à la vente des publications périodiques et des livres diffusés en ligne, constitutifs de « services », le même taux de TVA () que celui que, parmi les modalités d’aides de l’État, ils appliquent à ces publications imprimées, constitutives de « marchandises. »
De ces premiers faits, on pourrait penser que une TVA à taux réduit s’applique aux e-books simplement. Or, ce n’est absolument pas le cas dans les faits. Le legislateur européen a simplement aligné un régime à l’autre, en laissant les pays définir la qualité de livre. Et c’est cette définition du livre qui pose problème, non pas l’applicabilité du taux.
L’exemple français est extrêmement significatif. Actuellement, la TVA applicable est la France, de 2,1 % pour la presse et de 5,5 % pour les livres (et donc e-books). Or, ce taux s’applique de façon très restreinte.
Par exemple , comme le précise le BOI-TVA-LIQ-30-10-40 / II-C-100 l’ouvrage numérique voulant se voir appliquer une TVA à taux réduit ne ne doit pas présenter un caractère commercial ou publicitaire marqué, c’est-à-dire être principalement destiné à informer un public de l’existence et des qualités d’un produit ou d’un service, avec ou sans indication de prix, dans le but d’en augmenter les ventes ou de promouvoir l’image d’un annonceur (cf. II-D). Ainsi, tout e-book ayant un contenu commercial, même secondaire, se voit exclut de cette application favorisée. Et l’administration fiscale française a une interprétation de ce règlement très extensive .Une affaire récente au sujet est CAA de NANTES, 1ère chambre, 14/01/2021, 19NT01767, dans laquelle un éditeur d’almanach nantais voulait voir la TVA à taux réduit car son livre comportait un caractère rédactionnel conséquent et évident. Néanmoins, l’administration ayant retenu un caractère principalement commercial à l’ouvrage, le plein taux à 20% a été appliqué.
Le droit irlandais montre d’ailleurs la meme problématique : n’est défini comme e-book au sens du « Revenue » (chapitre « Tax and Duty Manual – VAT and Electronic Publications ») seulement l’ouvrage qui présentent également une version imprimée en physique disponible, et pour ceux-ci uniquement. Par exemple, les répertoires en ligne ou les ouvrages uniquement en ligne se voient taxés au taux plein de 20%.
Ce problème est généralisé dans l’ensemble de l’UE, et la TVA pour les e-books est un problème pour les éditeurs partout. Il existe à des dizaines d’exemples. La directive 2018/1713 étant particulièrement récente, la jurisprudence, pour cause Covid, n’est pas encore particulièrement conséquente. Sa mise en application en jonction avec la directive ATAD (Anti Tax Avoidance Directive) va créer une série de clarifications dans les prochains mois, qui vont probablement pénaliser des catégories spécifiques de vendeurs.